Michel Lagrange – A propos des sculptures en fil d’acier

 

Regarder une sculpture d’Hellen Halftermeyer, c’est pénétrer dans un espace aux dimensions paradoxales. C’est lire une écriture à l’encre déroutante. C’est reconstituer le destin d’une œuvre, en direction d’une interrogation sur le destin de l’être humain.
La vie, c’est le fil d’un destin, qui va et vient, qui se déroule… le mystère d’un parcours qui, longtemps, échappe à la compréhension du vivant. Un embrouillamini d’événements confus, sans relations entre eux. En apparence… On est dans le pluriel d’une confusion sans issue. Sans avenir notable et véritablement lisible. Longtemps, on est dans l’incertain du colin-maillard de la destinée, dont on ne pourra rien prévoir.

Ici, ce sont les fils d’acier qui sont les vrais relais de ce questionnement.
Des fils arachnéens accrochant des buissons d’épines, des fils-clôtures, des chemins de guingois au long d’événements ponctuels. On ne sait pas d’abord où l’on ira bientôt.
J’ignore comment Hellen Halftermeyer procède quand elle tisse ses apparitions. Qu’importe ! Ma lecture est personnelle, comme toute approche intuitive d’une œuvre d’art. J’espère que ma démarche me conduira, au-delà de mes errements, vers une vérité qui existe, même à l’insu de l’artiste, dans une œuvre qui permet une lecture plurielle, par la richesse de ses facettes.
Ici, me voici confronté aux pleins et aux déliés d’une écriture à l’encre sympathique. Justement, je dois entrer en « sympathie » pour communier aux secrets de ces œuvres. Années-lumière… brouillard et nuit de tant d’incertitudes…Un chaos programmé par un dieu qui sait tout et qui travaille au-delà de ma vue.

À mi-chemin de l’œuvre en train de s’accomplir, cet entrelacs de fils arrive à des révélations prochaines… Je commence à comprendre, à rompre la rumeur d’un chaos d’apparences et de tours mystérieux. Un haut-relief prend le relais des confusions. Mise au point, mise au net d’un brouillon nécessaire. L’esprit et la main qui travaillent à cette œuvre en savent plus que moi, dès les premiers tours et détours du matériau ployé.

Exploits du vide, espace et temps vibrés, au seul profit d’une vérité d’œuvre en train d’élaborer son noyau spirituel. Je songe à ce conte oriental, où un génie de lampe éveille, à être caressé, un avenir miraculeux.
La sculpture prend forme et sens, et se délivre des tâtonnements d’un brouillon dépassé.

Hellen Halftermeyer choisit de ne rien enclore, de ne rien emprisonner dans un contour étroit refermé sur lui-même. On peut parler de la pudeur de ces contours, ouverts sur de la pureté libre. Sans pesanteur ni excès d’incarnation.
Car ces apparitions, ces visages qui se dessinent en haut-relief, ont si peu de chair – dont ils se méfient ?- que l’esprit en eux se dilate, et que le temps qui passe à travers les hasards vaincus donne sa force, sa chance, à la fragilité de l’œuvre, au profit de sa profondeur, et de sa spiritualité.

Au bout de ce travail de patience – je songe à Pénélope – le Visage a pris corps et âme, en majuscule.
Cette notion de fil, lié à la notion de courant vital, puisque l’œuvre est devenue vivante, pourquoi est-ce que je viens à songer à la mythologie des Parques ? À cause du fil déroulant le destin de l’être. La troisième Parque, appelée Atropos (l’Inévitable) à la fin de ce peloton, va d’un coup de ciseaux fatals interrompre la vie. C’est la mort assurée, en train de traverser l’espace et le temps clos… Le vrombissement alarmant d’une mouche…

Mais cela, justement, n’est pas possible pour une telle œuvre d’art. Au cœur du labyrinthe, à quoi peut ressembler cet entrelacs de fils, et toute réussite humaine, le fil vainqueur est bien le fil d’Ariane.

Une œuvre d’art apporte, au-delà de l’énigme, et grâce à elle, la solution porteuse, un privilège et une liberté majeures. Une immortalité qui la met à l’abri des échecs, des vieillissements, des envies d’un destin jaloux.

Et cela parce que les sculptures, et les peintures, d’Hellen Halftermeyer ont en elles cette transparence, cette vibration émouvante, inachevée, toujours en cours, qui est comme un instinct du ciel accueillant l’au-delà, par un chemin sans pesanteur ni précédent.

Michel Lagrange
Châtillon sur seine, février 2018